mercredi 18 novembre 2009

Je vais mourir vendredi.

Ce matin, sous la douche, j'ai été pris d'une sensation bizarre.
L'impression que le temps, l'espace se déchire.
La seconde qui suit, je suis à nouveau là, normal, même parfaitement lucide. Trop lucide.
Une phrase s'est imprimée dans mon esprit.

Je vais mourir ce vendredi.

Soit, vu l'heure actuelle, après-demain.

Fais chier, j'atteindrai même pas le week-end.
Bon sang, je me rends compte que même en ces moments-là je plaisante. Parce que sachant que plus rien ne l'empêchera, quelle vengeance de pouvoir railler, aux portes de sa maison, la Gardienne à la grande faux.
Je crois que je n'ai jamais perdu mon sens de l'humour, et je veux pouvoir rire jusqu'au dernier instant parce que c'est encore la meilleure manière de partir.
Ca veut dire aussi que j'ai fait la dernière cuite de ma vie il y a quelques semaines !! Bon sang, ça fait quelquechose de se dire que je ne pourrai plus jamais me bourrer la gueule !!
Ca va me manquer, les chouilles, les amis, les imprévus, les rires, les regards, les surprises, les soirées entre mecs à se raconter ses conneries, ses projets ou les derniers ragots.
Note pour plus tard (enfin, vendredi au plus tard!!): changer mon répondeur "Je ne suis plus là, mais laissez quand même votre message !". Ca ferait une bonne épitaphe aussi, d'ailleurs !!
Bon, trève de plaisanteries.

Depuis ce moment dans ma douche, les couleurs me paraissent toutes plus vives, l'air plus pénétrant, les sensations plus accentuées.
Ce matin, dans le métro, une vieille femme monte à Père Lachaise (ironie ?), une vielle femme droite, haute, la tête fière et portant son âge magnifiquement, malgré la multitude de rides et de ridules qui sillonnent son visage. Une femme qui doit bien avoir ses 65 ans bien tassés, même si elle en paraît moins. Les mains ne trompent pas...
Elle a des yeux bleus comme l'eau des lagons un jour de soleil, et ses cheveux blancs comme la neige, bien coiffés et ramenés en chignon tenu par 2 baguettes chinoises entrecroisées montrent le soin qu'elle met à s'arranger. Une aura de droiture et de sérénité l'entoure. Habillée sobrement, elle impose.

J'aime voir des gens comme ça. J'éprouve une affection particulière pour ces hommes et ces femmes qui ont traversé le siècle ou la moitié du siècle précédent, rebâtissant courageusement la vie au sortir de la guerre, assistant à l'explosion technologique et culturelle, à l'effondrement de notre civilisation, à la lente destruction de notre planète.
Mais revenons à ma belle vieille femme. Oui, elle était belle, une lumière douce émanait de son visage. Personne ne la regardait, je le voyais bien d'où j'étais. Les gens dans les rames sont tellement perdus dans leurs pensées, leur haine ou leur indifférence qu'un troupeau de veaux à l'œil torve a l'air plus civilisé et intelligent...
Je me suis simplement reculé pour la laisser monter plus facilement, avec ces 2 blaireaux qui campaient fermement adossés aux portes (Pousse-toi petite racaille qui se prend pour un homme avec ta casquette de travers, ta boucle d'oreille en or, ton rap à fond, ton t-shirt NYC et ton pantalon baissé limite en-dessous de ton cul... qui me donne souvent l'envie de te le faire descendre sur les genoux pour voir si tu ferais toujours ton fier à marcher comme un pingouin et pouvoir me marrer à te voir te casser la gueule... crétin...)
Même s'il n'y a pas grand-monde ce matin, il faut toujours une ou deux limaces au QI inférieur à la température hivernale de Sibérie qui restent devant la porte, même ouverte.
Elle a levé son visage vers moi, et ses yeux profonds se sont plongés tout au fond des miens. Je suis certain qu'elle a lu la totalité de ce que mon cerveau, mon cœur et mon âme renferment, même dans les coins les plus reculés et secrets.
En un instant, le temps s'est figé, je ne voyais plus que ses yeux, et la sensation d'une caresse ou d'un souffle chaud sur mon esprit. Instant extraordinaire.
Le temps reprends son cours, la sonnerie de fermeture des portes de la rame résonne, cette femme me sourit largement.
Et dans ma tête une voix rassurante et douce me chuchote :
"Ne t'inquiète pas. Tout ira bien."
Voilà un visage de la Mort auquel personne ne s'attend.
Une femme hors d'âge, belle et avec la délicatesse des pétales d'un lys. On ne peut pas refuser de suivre une telle apparition.

J'ai repassé rapidement ma vie dans ma tête. Je n'ai pas grand-chose à y ajouter. J'aurais aimé vivre certaines choses, ou en vivre d'autres différemment, c'est sûr. Mais après tout, j'ai fait de mon mieux quand et comme je le pouvais, donc je n'ai pas de remords à avoir.
C'est pour cela que j'ai toujours voulu être à 200%. Que j'ai couru après quelqu'un un jour dans les couloirs du métro, après avoir sauté du mien, juste pour passer encore quelques minutes avec. C'est comme ça que j'ai essayé de vivre, ne jamais rien vouloir rater de ce qui est bon, en entendant les gens me dire "Tu es fou..." avec un visage de "... et j'aime ça.".
Mais qui est le fou, celui qui saute du métro pour aller rire et passer un peu de temps en plus avec une personne qu'il aime, ou celui qui reste sur son strapontin, la tête baissée, en se demandant s'il aurait du sortir ou pas, ou peut-être que, ou peut-être que non ?
"Goûte chaque instant comme si c'était le dernier"...
Cette devise qui est mienne depuis tant d'années prend soudain une tournure des plus pertinentes...
Je revendique cela, de m'être battu contre des moulins à vent, d'avoir posé, avec la plume, avec mes mots, avec mon âme, des lignes acides ou douces ici et là, parfois même dans certains cœurs. D'avoir toujours voulu rester un "gentleman". Et d'être un curieux de tout. Même encore en cet instant, je suis curieux de savoir ce qui va se passer, comment, quelles sont les sensations...
Puisqu'il ne me reste même pas 2 jours, que dois-je changer ? Me mettre en congé pour essayer de vivre différemment ? Non. Demain et vendredi, j'irai au boulot, comme chaque jour. Serein. Je ne changerai rien puisque ce serait comme vouloir me mentir à moi-même. J'irai faire mon travail, apaisé et tranquille.
A qui dois-je dire au-revoir ? Au moins à tous les gens qui ont compté ou comptent pour moi, que j'apprécie, ou que j'ai dans mon répertoire téléphonique. Mais je pense que je n'aurai pas assez de temps pour faire tout le monde... Laisser mon cœur choisir ?... Il y a, c'est sûr, des gens qui me viennent à l'esprit.
Ou ne pas dire au-revoir.
Partir sans adieux ni au-revoir c'est tellement plus beau.
Et pour paraphraser ce grand homme balayant le sol de son large chapeau,
Je pars, mais en ces instant et malgré tout ce que la mort m'arrache,
Il y a quelquechose que j'emporte avec moi... c'est mon panache.

Je reprends conscience que les stations de métro défilent, et que j'arrive à République. Je sors de la rame, mais au moment de m'éloigner, je m'arrête. Je suis sûr qu' "elle" me regarde. J'ai une sensibilité assez développée pour ce genre de choses et quand une telle certitude s'impose à moi, je sais qu'elle est vraie (d'ailleurs je connais quelques personnes qui l'ont éprouvé...). Je me suis donc retourné, tranquillement.
Effectivement, le sourire aux lèvres, la douce Mort me regardait. Ses yeux brillaient d'un bleu magnifique. Je lui ai rendu son sourire. Quelle paix...

"A vendredi !" ai-je pensé...

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